La concurrence déloyale.

LA CONCURRENCE DÉLOYALE

Les entreprises sont amenées à devoir être attentives sur leurs rapports avec leurs collègues ou Confrères exerçant dans la même activité ou dans des activités proches. Elles doivent prévoir de se protéger et de raisonner au regard de la position judiciaire retenue dans la discipline.

C’est pourquoi, il est apparu opportun de présenter une sélection de décisions rendues par les Juges intervenant en Droit de la concurrence afin d’orienter sa réflexion, savoir :

1°/ Le débauchage massif du personnel d’un concurrent qui entraîne sa désorganisation est un acte de concurrence déloyale

En l’espèce,

Un salarié qui occupait le poste de directeur technique d’une société spécialisée dans l’aéronautique démissionne et signe, quelques jours plus tard, un contrat de travail avec une société opérant dans le même secteur d’activité. Accusée d’agissements constitutifs de concurrence déloyale, la seconde société faisait valoir que l’embauche d’anciens salariés d’une entreprise concurrente n’est pas fautive en elle-même, sauf à ce qu’elle intervienne dans des conditions déloyales et entraîne une désorganisation de l’entreprise, ce dont elle se défendait. Son pourvoi est rejeté.

La société s’était en effet livrée à un débauchage massif des salariés de son concurrent : elle en avait contacté 11 sur un effectif total de 22, et effectivement recruté 4 à des conditions plus avantageuses.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du 13 Avril 2023 (n° 22-12.808) a retenu,

  • Que les salariés recrutés formaient dans leur précédente société la totalité du service qualité et leur départ avait donc provoqué chez celle-ci une profonde désorganisation,
  • Que quand bien même ces salariés avaient été déliés de leur engagement de non-concurrence, ce débauchage massif était contraire aux usages loyaux du commerce.

2°/ La commercialisation d’une gamme de produits copiant des produits protégés par le droit d’auteur sont des faits distincts de l’action en contrefaçon peuvent fonder une action en concurrence déloyale et parasitaire concomitante.

La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation dans son Arrêt du 25 Mai 2023 (n°22-14.651) a retenu la copie d’un motif iconique pour reconnaitre le bien-fondé de l’action en contrefaçon et en concurrence déloyale

En l’espèce,

Une société commercialisait depuis plusieurs années un bijou en métal précieux sous forme de bracelet et de collier composé d’une succession de maillons entrelacés entre eux formant une chaîne qui s’attache avec un fermoir en forme de T et décline cette composition dans une gamme de bijoux.

A la suite d’une retenue douanière, elle découvre qu’une autre société commercialisait des bracelets, des colliers, des boucles d’oreilles et des boutons de manchette portant atteinte, selon elle, à ses droits d’auteur sur le modèle de bijou en question et engage une action en contrefaçon de droit d’auteur et du droit sur des dessins et modèles ainsi qu’en concurrence déloyale.

Les juges du fond relèvent que la combinaison spécifique invoquée au titre du droit d’auteur « traduit des partis pris esthétiques lui conférant une originalité empreinte de modernité » et condamnent la seconde société sur le fondement d’actes de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaire.

La seconde société forme un pourvoi en cassation.

Elle contestait notamment l’existence de faits de concurrence déloyale distincts des actes de contrefaçon sanctionnés.

La Cour de cassation rejette le pourvoi aux motifs que les actes de concurrence déloyale et parasitaires distincts étaient bien caractérisés. Elle a approuvé la cour d’appel ayant relevé plusieurs critères justifiant la qualification de tels actes :

  • La commercialisation d’une gamme entière de colliers, bracelets, boutons de manchette et boucles d’oreilles copiant les bijoux, créant un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle.
  • La société victime des actes de concurrence déloyale exploitait ses bijoux depuis de nombreuses années au point que le motif revendiqué était devenu son motif iconique.
  • D’importants budgets promotionnels étaient consacrés à ces bijoux, et le motif iconique était reconnu par les professionnels comme son emblème.

3°/ Concurrence déloyale : De la nécessité d’apporter la preuve de la détention des informations confidentielles par la société concurrente

La Chambre commerciale de la Cour de cassation dans son Arrêt du 17 Mai 2023 (n° 22-16.031) a retenu que La détention ou l’appropriation d’informations confidentielles appartenant à une société concurrente apportées par un ancien salarié constituait un acte de concurrence déloyale.

En l’espèce,

Une société avait engagé une action en concurrence déloyale à l’encontre d’une autre société concurrente, créée par deux de ses anciens salariés. La société invoquait un trouble commercial lié au détournement des documents commerciaux dont elle avait la propriété par ses anciens salariés : l’un de ceux-ci s’était en effet envoyé des courriels depuis sa boîte professionnelle, avant son licenciement, sur une adresse courriel personnelle, contenant divers actes commerciaux et avait détourné des données commerciales relatives à la stratégie de développement de la société dans l’Ouest de la France. 

Le concurrent a contesté l’existence d’une faute dans la mesure où un « usage effectif » des documents litigieux n’était pas établi. Il a en outre soulevé son absence d’immatriculation et en conséquence, d’existence légale, au moment des faits.

Les juges du fond ont considéré que les transferts de messages visaient des documents commerciaux techniques importants et étaient de nature à servir les intérêts personnels de l’ancien salarié susceptibles d’être utilisés notamment par la création d’une autre structure. De plus, la faute résultait de « l’effectivité des détournements et non de l’usage des données qui pourraient en résulter ». Enfin, pour retenir la faute du concurrent, les juges ont considéré que l’acte reproché à une personne morale s’analysait au travers de ceux qui étaient commis par une personne physique qui lui était attachée, telle que son dirigeant. 

Un pourvoi en cassation a été formé. La Cour de cassation a cassé l’arrêt au visa des articles 1382, devenu 1240, du code civil et L. 210-6 du code de commerce.

Concernant le détournement des documents commerciaux, la Cour de cassation reproche aux juges de ne pas avoir constaté l’appropriation ou la détention par la société créée par les anciens salariés, des informations confidentielles obtenues pendant l’exécution de leur contrat de travail. Dès lors, pour engager la responsabilité de la société concurrente, la faute ne sera pas suffisamment établie par le seul détournement des documents commerciaux par ses membres fondateurs.

La Cour de cassation rappelle que selon l’article 1240 du code civil, la faute de la personne morale résulte de celle de ses organes

Elle rappelle également les dispositions de l’article 210-6 alinéa 1 du code de commerce selon lequel les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Selon l’alinéa 2, les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes. 

Si la responsabilité d’une personne morale s’analyse au travers des actes commis par une personne physique qui lui est attachée comme son dirigeant, encore faut-il que la qualité de dirigeant existe au moment des faits. Dans la mesure où la société n’était ni constituée ni immatriculée aux moments des faits reprochés, les agissements fautifs de l’ancien salarié qui n’était pas encore dirigeant, ne pouvaient engager sa responsabilité.

4°/ Un préjudice s’infère nécessairement d’une faute constitutive d’un acte de concurrence déloyale

La Chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du 7 Septembre 2022 (n° 21-14.028) retient que la désorganisation d’une entreprise est nécessairement constitutive d’un trouble commercial.

Une société spécialisée dans l’immobilier, qui reprochait à une société concurrente d’avoir conduit des intrusions informatiques, demande l’indemnisation de son préjudice fondé sur la désorganisation subie en raison de la destruction de fichiers par l’intrusion. Les juges constatent que l’intrusion informatique a été conduite depuis un ordinateur appartenant à la société concurrente et a en effet entraîné une destruction de données qui a désorganisé la société pendant plusieurs jours.

Si la société invoque un trouble commercial constitué par la perte de ses bénéfices en raison de la désorganisation causée par l’intrusion informatique, les juges du fond rejettent la demande d’indemnisation au motif qu’il n’était pas démontré un préjudice financier en lien avec les piratages. Un pourvoi en cassation a été formé.

La Haute juridiction casse l’arrêt au visa de l’article 1382, devenu 1240, du code civil et rappelle un principe constant qui résulte de ce texte : un préjudice s’infère nécessairement d’une faute constitutive d’un acte de concurrence déloyale. 

La Cour conteste la position des juges qui ont considéré que la preuve de l’existence d’un préjudice financier en lien avec les piratages n’est pas rapportée ; en effet, les juges du fond avaient relevé que l’intrusion informatique ayant conduit à la suppression et à la destruction de fichiers, provenait d’un ordinateur ayant une adresse IP attribuée à la société concurrente et avait entraîné une désorganisation de l’entreprise. Cette désorganisation était nécessairement constitutive d’un trouble commercial lequel devait donc être indemnisé.

5°/ Attention au débauchage de salariés non liés par une clause de non-concurrence

La Chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du 7 Septembre 2022 (n°21-13.505) a retenu que l’appropriation d’informations confidentielles appartenant à une société concurrente apportées par un ancien salarié constituait un acte de concurrence déloyale.

En l’espèce,

Une société avait engagé une action en justice fondée sur des actes de concurrence déloyale à l’encontre d’une autre société fabriquant une gamme de séchoirs industriels. La demanderesse oppose que les produits ont pu être réalisés grâce au détournement de ses fichiers techniques et commerciaux à la suite du licenciement d’un de ses salariés devenu directeur industriel de la société fabricante. Elle formule des demandes d’interdiction de commercialisation et d’indemnisation.

La demanderesse à l’action a fait réaliser des mesures d’investigation au siège de son concurrent par un huissier de justice par lesquelles ont été trouvés des documents présentant les caractéristiques détaillées de ses séchoirs, les rapports de diagnostics énergétiques commandés et financés par cette société, des documents commerciaux avec données sur les prix de revient, les taux de marge et les prix de vente des séchoirs lui appartenant. Un expert judiciaire a également été désigné et a relevé notamment que le transfert de compétences entre les deux sociétés peut avoir eu un impact sur la rapidité de développement par la société concurrente de sa propre gamme. Pour autant, les juges du fond rejettent les demandes aux motifs notamment que les seuls points de similitudes caractérisés sont insuffisants pour démontrer le pillage des secrets de fabrication permettant de bénéficier du savoir-faire propre acquis par la société.

Les juges du fond ont considéré que l’accès aux données par le nouvel employeur n’était pas constitutif d’actes de concurrence déloyale, qu’aucun acte de démarchage auprès de clients de la société demanderesse à l’action n’est démontré, ni même invoqué. Les juges ont également considéré que le seul fait d’avoir trouvé ces documents sur le serveur de la société concurrente est insuffisant pour démontrer qu’elle s’en serait servie comme mode d’emploi « clef en main » pour se lancer dans la fabrication et la commercialisation de séchoirs industriels, pour former des propositions concurrentes auprès de clients communs, voire pratiquer des prix plus bas pour obtenir des marchés auprès d’eux.

Un pourvoi en cassation est formé. La Cour de cassation casse l’arrêt des juges du fond par un arrêt rendu au visa de l’article 1382 devenu 1240 du code civil. Elle juge que l’appropriation d’informations confidentielles appartenant à une société concurrente apportées par un ancien salarié, même non tenu par une clause de non-concurrence, constitue un acte de concurrence déloyale.

6°/ Actes de parasitisme destinés à tirer profit de la notoriété d’une marque

La Chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du 7 Septembre 2022 (n° 21-14.495) a considéré que l’utilisation d’une marque, après l’expiration d’un contrat de licence de marque, comme mots-clefs d’une page d’accueil d’un site internet est un acte de concurrence déloyale.

En l’espèce,

Une société, spécialisée dans la signalétique, la communication visuelle et la réalisation d’enseignes, a signé des contrats de concession de licence de ses marques « Pano » et « Pano boutique » avec quatre cocontractants. Les quatre concessionnaires ont décidé de ne pas renouveler le contrat de licence de marque en raison d’un désaccord sur de nouvelles conditions tarifaires.

Le concédant a engagé une action en justice aux fins de paiement des redevances dues jusqu’à l’échéance des contrats et de dommages-intérêts pour rupture illicite du contrat, utilisation illicite de ses marques et concurrence déloyale et parasitaire.

A la suite de l’expiration du contrat de licence, les concessionnaires ont utilisé l’une des marques comme mot-clef dans la page d’accueil de leur site internet. De même, ils ont utilisé l’enseigne « P.A.O Publicité » en affirmant qu’elle ne portait pas atteinte aux marques du concédant et ont soutenu que le signe « PAO » usuellement utilisée comme abréviation de « publication assistée par ordinateur » désignait la « production de documents publicitaires à l’aide d’un ordinateur ».  Les juges du fond ont considéré que les lettres « PAO » étaient extrêmement proches de la marque « PANO ». Selon les juges du fond, le débat n’est pas de savoir si l’utilisation du sigle PAO est licite ou si le sigle constitue ou non une marque déposable, mais de déterminer si les anciens concessionnaires, par l’utilisation de ce sigle, après avoir perdu l’usage de la marque « PANO » à travers le contrat de licence de marque, ont tenté de se placer dans le sillage du concédant en utilisant une enseigne d’une grande proximité avec la marque précédente.

Selon les juges, l’usage du sigle « PAO », est de nature à entraîner la confusion dans l’esprit de la clientèle avec la marque « PANO » ; ce fait ajouté au référencement abusif du mot « PANO » dans la page d’accueil de leur site internet, constituent des actes de parasitisme pour tirer profit sans effort de la notoriété de la marque appartenant au concédant. La cour d’appel condamne donc les concessionnaires à des dommages et intérêts pour concurrence déloyale. 

Le pourvoi en cassation formé par les quatre concessionnaires a été rejeté.

La Cour de cassation approuve l’appréciation des juges du fond sur l’existence d’actes de parasitisme pour tirer profit sans effort de la notoriété de la marque du concédant. L’imitation des éléments distinctifs de la marque était de nature à créer la confusion dans l’esprit de la clientèle et la concurrence déloyale était donc établie. 

Selon la Cour, les juges ont souverainement estimé, que l’usage du sigle PAO était de nature à créer une confusion dans l’esprit du public et, que cet usage était destiné à tirer profit, sans rien dépenser, de la notoriété de la marque du concédant.